En octobre 2017, j’embarquai pour la première fois à bord de l’Aquarius, bateau humanitaire sillonnant les eaux internationales au large de la Libye. J’ai été très marquée par la vision de ces personnes qui avaient pris la mer en laissant derrière eux une partie de leur histoire. Nombre d’entre elles ont été récupérées pieds nus, avec pour tout bagage un petit sac plastique contenant l’essentiel de leurs affaires. Pour fuir l’horreur, elles s’étaient entassées dans des embarcations de fortune, s’aventurant en mer, en pleine nuit, bravant le froid, la houle et la peur. La plupart n’avait jamais vu la mer. Après trois semaines de mission, 588 rescapés ont été déposé sur la terre ferme, au port de Vibo Valentia, dans le sud de l’Italie.
Je suis retournée à bord de l’Aquarius en septembre 2018 alors que l’Italie avait fermé ses ports et que nous étions le dernier bateau civil sur zone. A la suite de deux sauvetages, 58 personnes ont été secourues dont treize enfants. Ballotté au gré des humeurs politiques, nous avons dérivé une semaine autour de Malte. Nous, l’équipage et les rescapés, étions devenus des indésirables, témoins gênants de la situation en Méditerranée centrale. Les liens se resserraient au fil des jours où nous partagions doutes, colères, rires et frustrations. Les enfants réinventaient sans cesse le terrain de jeux.
Pour tous, interroger l’horizon était devenu l’activité principale.
Cette série d’images a été prise à une année d’intervalle. J’ai été témoin de l’entraide qui règne à bord de l’Aquarius, de l’incroyable résilience qui accompagne chaque personne dans son parcours migratoire, ainsi que d’un spectacle effrayant qui se déroule loin de tous, en haute mer.