Avec ¡Rue Balanza!, je vous propose un voyage en terre culturelle où les habitant.es ont investi des lieux sans autorisation et avec flamme. Cette flamme qui brûle dans les yeux de ceux qui refusent les destins imposés. Ce voyage se passe à la Balanza dans le nord de Lima, quartier de migrations récentes fait de bric et de broc. Les photos présentées ont été prises entre 2008 et 2016, au fil des rencontres, toujours émouvantes, et des événements, souvent rocambolesques. Ni un reportage, ni un festival n’existe sans aventure. Celle-ci est humaine avant tout.
Tout commence avec la rencontre de Bryan Meza, jongleur. Je travaillais comme photographe pour un festival de cirque à Lima. Il a tout juste 17 ans et passe de longues heures à jongler aux feux rouges. Comme beaucoup de péruvien.es, il gagne sa vie dans la rue. Avec son groupe, Hijos del viento (fils du vent), ils donnent de nombreux ateliers pour former les enfants de leur quartier. Pendant deux mois, il m’a embarqué dans les périphéries de Lima où j’ai découvert une vie artistique très active que j’ai documenté.
Après six ans de correspondance, Bryan m’écrit qu’il a intégré une compagnie de théâtre de rue à l’origine d’un important festival. Je décide de repartir. Je suis accueillie par Jorge Rodriguez Mallqui et Patti Beltràn, créateurs de la compagnie La Gran Marcha de los Muñecones (la grande marche des marionnettes). Natifs du quartier de la Balanza, ils ont imaginé des grandes marionnettes pour défier, par l’art de rue, la propagande murale en faveur de la politique autoritaire d’Alberto Fujimori (1990-2000). Ces marionnettes incarnent un Pérou riche de ses métissages mais aussi très marqué par les dictatures successives.
Et chaque année depuis 20 ans, tambours et échasses annoncent le printemps. En 2001, le FITECA (Fiesta Internacional de Teatro en Calles Abiertas / Fête international de théâtre de rue) est né de cette envie d’offrir une dimension culturelle à ce quartier catalogué dangereux, en inventant une nouvelle histoire collective. Jorge et Patti savent qu’en créant du lien entre les habitants et en reprenant place dans l’espace public, ils apaiseront les violences de leur quartier.
En 2016, plus de 2000 personnes assistaient chaque soir aux spectacles donnés par les 106 artistes venus de toute l’Amérique Latine et logés gratuitement chez les habitant.es volontaires. Dans les maisonnettes, on se serre, on échange, on partage pour allumer les rues, les yeux, les consciences et faire vibrer le quartier au rythme des âmes inspirées. Clowns, échassiers, danseur.euses, comédien.nes, artistes, envahissent les soirées, peignent les murs, marquent de leurs souvenirs, les esprits oubliés.
Sur les trois années où j’ai participé au FITECA, j’ai installé de quoi collecter des portraits grâce au Studio Photo Ambulant. Ce studio de portraits était installé quotidiennement sur le terrain de foot, au milieu des vendeurs de pop-corn et de sandwich. Des artistes locaux ont participé à l’élaboration des fonds qui servaient de décors pour prendre la pose. Dans un élan participatif , j’ai invité les habitant.es à découvrir mon outil photographique en m’assistant sur la lumière, la prise de vue et la mise en scène. Cette série de portraits participe à la création d’une mémoire de la Balanza, recensant habitant.es, artistes, public …
Malgré les difficultés du Pérou liées à la crise sanitaire, Jorge Rodriguez, Patti Beltran et le reste de la compagnie n’ont pas baissé les bras. Ils ont gardé un lien virtuel avec les habitant.es. En 2021 un nouveau président du Pérou a été élu : Pedro Castillo. Avec lui, l’espoir d’un nouveau départ, humaniste et inclusif envers les minorités. Un espoir pour l’Amérique du sud tout entière. Cette année le FITECA va célébrer ses vingt ans, et pour la compagnie de la Gran Marcha de los Muñecones , il est bien question de rassembler à nouveau tous.tes les voisins et voisines de La Balanza! L’organisation est en route et cet événement est attendu avec grande impatience par les habitant.es déjà mobilisé.es.